Le fait que Jésus ait été conçu par une vierge, sans l’intervention d’un homme, a été mis en doute, y compris par quelques exégètes chrétiens, sous l’influence du rationalisme. Une question se pose ici : l’historien peut-il contribuer à étayer la croyance en cette donnée fondamentale de la foi chrétienne ?
Attention ! Il ne s’agit pas ici de prouver par la raison naturelle un mystère auquel seule la foi peut donner accès. Mais l’historien peut tout de même préparer le terrain à l’adhésion dans la foi à ce miracle.
Certains ont prétendu que la conception virginale était affirmée seulement dans les Evangiles de l’Enfance :
Mt 1,20-23 (le songe de St Joseph) : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils (…) Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : ‘Voici que la vierge concevra et enfantera un fils’ »
Lc 1,34-37 : « Marie dit à l’ange : ‘Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ?’. L’ange lui répondit : ‘L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre (…) car rien n’est impossible à Dieu ».
Or, puisque ces passages sont les derniers à avoir été inclus dans les Evangiles, on a cru pouvoir affirmer que l’Eglise primitive ne connaissait pas le miracle de la conception virginale. Ce serait un ajout tardif, fictif, élaboré pour les besoins de l’argumentation en faveur de la divinité de Jésus.
Réponse :
Réponse (Petitfils, Jésus, p.472) :
Pourquoi ? Parce qu’à la différence de ces mythes, le NT ne fait pas allusion à un accouplement Dieu/Marie : à aucun moment, il n’est dit que Dieu est le père biologique de Jésus ; Marie est au contraire présentée comme la seule origine humaine de Jésus.
**Les auteurs du NT auraient eu tout intérêt à prétendre que Jésus était le fils de Joseph **selon la chair puisque :
Or ils n’en ont rien fait, écartant même toute ambiguïté sur la nature de la filiation par rapport à Joseph (cf. les généalogies : Lc 3,23 : « il était (Jésus), croyait-on, fils de Joseph » ; Mt 1,16 : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus »).
Ceci atteste que cette croyance singulière, selon laquelle Jésus était fils de Marie seule selon la chair, née du miracle de la conception virginale, était solidement ancrée dans l’Eglise primitive.
Des exégètes estiment que la naissance de Jésus à Bethléem est peu probable : il serait plutôt né à Nazareth. Les affirmations des Evangiles de l’Enfance, en Mt 2,1 et Lc 2,4-7, selon lesquelles Jésus serait né à Bethléem, n’auraient d’autre but qu’apologétique : montrer que Jésus était bien le Messie, descendant de David dont l’AT annonçait qu’il naitrait à Bethléem, ville originelle de David (cf. prophétie de Michée 5,1 : « Mais toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le moindre des cités de Juda, car c’est de toi que me naîtra le chef qui fera paître mon peuple, Israël »).
Réponse :
« On voit mal l’intérêt apologétique de la naissance à Bethléem. Elle n’est en rien nécessaire pour affirmer la descendance davidique (qui, elle, est essentielle). L’origine nazôrénne de Jésus était un marqueur plus puissant (du fait que Jésus était descendant de David) ».
« Des représentants de l’exégèse moderne qui font autorité estiment que l’information des deux évangélistes Matthieu et Luc, selon laquelle Jésus naquit à Bethléem, serait une affirmation théologique, non historique. En réalité, Jésus serait né à Nazareth (…) Je ne vois pas comment de véritables sources peuvent soutenir une telle théorie. De fait, sur la naissance de Jésus, nous n’avons pas d’autres sources que celles des récits de l’enfance chez Matthieu et Luc ».
« Les deux (Mt et Lc) dépendent avec évidence de représentants de traditions très diverses (en témoigne le fait que les informations historiques qu’ils divergent en partie !). (…) Les deux lignes différentes de tradition concordent (pourtant) sur l’information que le lieu de la naissance de Jésus était Bethléem ».
« Si nous nous en tenons aux sources, et si nous ne dévions pas vers des inventions personnelles, il demeure clair que Jésus est né à Bethléem et a grandi à Nazareth ».
Personne ne remet en cause le fait que Jésus ait vécu à Nazareth.
Or, l’histoire de Nazareth et du clan qui y habitait du temps de Jésus est instructif.
« Nazareth » vient de l’hébreu « netzer » = le surgeon ou le rejeton. Ce village fut rebâti, sur des vestiges d’une ancienne bourgade, probablement à la fin du II°s, par les Nazôréens, clan venu de Babylone qui se réclamait de la descendance de Jessé, le père du roi David.
Ce clan avait la conviction que naîtrait de son sein le Messie royal, appuyé sur la prophétie d’Isaïe : « un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » (Is 9,5-6).
Il est capital que Jésus le soit, puisque les prophéties annonce que c’est de la descendance de David que sortira la Messie.
Puisque nous avons dit que Jésus n’avait d’origine humaine que par sa mère, puisqu’il est le fruit d’une conception virginale,** il semble capital de montrer que Marie était descendante de David**. Est-ce le cas ?
C’est ce qu’affirme Petitfils (Jésus, p.82), s’appuyant sur une part de la tradition (St Ephrem, St Irénée, St Justin, St Hippolyte, Origène, St Augustin, etc.).
Son principal argument :
« les usages claniques de l’époque étaient extrêmement contraignants. Rarement transgressait-on la loi des ancêtres. A l’intérieur du petit groupe très fermé des Nazôréens, attachés à maintenir la tradition davidique, ces usages devaient l’être davantage (contraignants) » (cf. Nb 36,6-9).
Laurentin n’est pas partisan de l’origine davidique de la Vierge Marie (Les évangiles de Noël, p. 12) :
Même un auteur aussi critique que J-P Meier l’admet (Un certain juif, Jésus, t. I, éd. Cerf 2004, p. 141) :
« L’ascendance davidique de Jésus est largement attestée, et très tôt, en de nombreux courants différents de la tradition néotestamentaire. Pour que, très tôt, on ait osé voir dans la résurrection d’un criminel crucifié l’intronisation royale du Fils de David, une seule explication est possible : au cours du ministère public de Jésus, les disciples ont eu connaissance de son ascendance davidique ».
Personne ne remet en cause le fait que St Joseph soit biologiquement descendant du roi David.
Or, comme le dit Ratzinger (L’enfance de Jésus, p. 18) : « Joseph est juridiquement le père de Jésus. Par son intermédiaire, il (Jésus) appartient (donc) selon la Loi à la tribu de David ».
Laurentin (Les évangiles de l’enfance, p. 222) ajoute pour sa part : « On ne perd vraiment rien à ce que Marie ne soit biologiquement fille de David (et donc à ce que Jésus ne le soit pas non plus) ». Pourquoi ? Parce que la paternité légale prévalait à l’époque sur la paternité biologique ; en d’autres termes, ce n’est pas parce que Jésus n’est que fils adoptif de Joseph, qui descend de David, qu’il n’est pas à tenir pour un descendant de David. Il l’est tout autant par ce biais juridique que s’il l’était biologiquement !
On l’a prétendu, en s’appuyant sur plusieurs éléments du NT.
Source :
Thèse : Le grec « adelphos », utilisé par les Evangiles, désignerait bien des frères de même sang ; s’ils avaient été seulement ses cousins, on aurait employé un autre mot : « anepsios ».
Réponse : En hébreu et en araméen, « ‘ah » (ou « hâ ») désigne indifféremment un frère de sang, un demi-frère, un neveu ou un cousin, comme l’attestent clairement certains passages de l’AT (cf. Tb 7,2 ; 7,4). Les traductions grecques de ces passages utilisent sans distinction « adelphos » et « anepsios ». Et puisque les auteurs des évangiles, s’ils les ont probablement écrits en grec, sont pétris de mentalité araméenne et hébraïque, il y a fort à parier que lorsqu’ils emploient le terme « adelphos » (frères) et non « anepsios » (cousins), c’est avec la même indifférenciation que dans les langues araméenne et hébraïque.
Source : « elle (Marie) enfanta son fils premier-né » (Lc 2,7)
Thèse : « premier-né » impliquerait qu’elle en a eu d’autres !
Réponse : écoutons Petitfils (Jésus, p.86) : « Chez les juifs, le terme juridique de ‘premier-né’ (littéralement, en hébreu, « celui qui ouvre la matrice ») ne suppose pas nécessairement des naissances postérieures, mais se réfère à la consécration spéciale à Dieu du premier enfant visée par le livre des Nombres (Nb 18,15-16) ».
Pour renforcer l’argumentaire, Petitfils ajoute :
« Celui-là n’est-il pas le charpentier ? » (Mc 6,3).
Certains ont prétendu que Jésus était un pauvre ouvrier du bâtiment, mais l’Evangile en grec dit de lui qu’il était « tektôn », ie technicien du bois, artisan, ébéniste. Or, ce métier relevait alors d’une catégorie sociale un peu plus élevée que les simples manœuvres.
Cela étant, ses parents n’étaient sans doute pas riches, puisqu’ils n’offrent au Temple, le jour de sa présentation, qu’« un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes » (Lc 2,24), dont le Lévitique prévoit qu’un tel sacrifice suffit « si l’on a pas les moyens de se procurer une tête de petit bétail » (Lv 5,7).
Une fois entamée sa vie publique, il semble que Jésus aie délaissé sa première profession pour se consacrer à celle de prédicateur itinérant.
Ayant épousé notre condition humaine, Jésus était tributaire de son mode de fonctionnement, qui est limité et progressif, comme en témoigne St Lc : « le petit enfant croissait et se fortifiait » (2,40), « il progressait en sagesse (et) en taille » (2,52).
Ainsi Jésus ne parlait-il pas toutes les langues, contrairement à ce que pourraient croire quelques dévots mal éclairés.
Quelles langues Jésus parlait-il ?
Dans la Palestine d’alors, 4 langues étaient utilisées : l’araméen, l’hébreu, le grec, le latin.
Le latin était-il parlé en Palestine du temps de Jésus ? Sans doute par les membres de l’autorité romaine, entre eux seulement ; mais nous n’en avons pas de certitude. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que le latin servait de langue administrative. On en trouve trace en Palestine dans des inscriptions placées sur les bâtiments officiels, ouvrages publics, tombes de légionnaires morts en Palestine. Rien ne nous porte à croire que Jésus ait lu, et encore moins parlé le latin.
Notons que le grec ne devait pas être si répandu dans le peuple juif : en atteste la remarque d’un tribun de cohorte à Paul (qui le voit juif, mais ne le sait pas lettré !) : « tu sais le grec ! » (Ac 21,37). Il est vraisemblable que Jésus en connaissait des rudiments, pour des raisons commerciales ou pour communiquer avec les « gens des Nations » (peut-être avec Pilate, lorsqu’il s’entretient avec lui au moment de son procès). Néanmoins, il ne devait sans doute pas le parler suffisamment bien pour soutenir une solide conversation : quand les juifs de la diaspora (qui parlaient grec) veulent lui parler, ils s’adressent d’abord à deux disciples hellénophones, André et Philippe (Jn 12,21).
Même si le grec était la langue courante dans la partie orientale de l’Empire, l’araméen semble avoir été la langue quotidienne des juifs de cette époque, plutôt que le grec. On peut aisément comprendre que, dans le contexte de soumission aux Romains, le réflexe identitaire devait rendre les juifs d’autant plus enclins à cultiver leur propre langue. La langue maternelle de Jésus devait donc être l’araméen (peut être avec un accent galiléen, si l’on en croit la remarque des interlocuteurs de Pierre au moment de son reniement : « à coup sûr, toi aussi tu es des leurs (des adeptes du Galiléen) ! Et puis, ton langage te trahit » (Mt 26,73).
Jésus était rabbi. Or le rabbi devait être apte à manier la langue liturgique : l’hébreu.
Cf. un très bon article du 12 avril 2014, écrit par Natalia Trouiller, dans l’hebdomadaire La Vie : http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/le-fragment-de-papyrus-copte-prouve-t-il-vraiment-que-jesus-etait-marie-12-04-2014-51952_16.php
a. Le « témoignage » de deux apocryphes
Les médias actuels nous ressassent régulièrement, avec une certaine délectation, que Jésus était marié, avec Marie-Madeleine bien sûr. Quoi de plus normal à l’heure du « mariage pour tous » ! Jésus a droit au mariage, lui aussi, non ? Et nos chers amis journalistes, qui se fondent sur les travaux de quelques théologiens en vue, pensent tenir là un scoop. Hélas pour eux, rien de nouveau sous le soleil : deux évangiles apocryphes, l’Evangile de Marie (Madeleine) (probablement du II°s) et l’Evangile de Thomas (probablement des I° et II°s) répandaient déjà cette rumeur.
Que répondre ?
On dira que les Evangiles canoniques sont le fait d’hommes à qui l’Eglise « officielle » aura demandé de garder le secret de ce mariage (cf. Da Vinci Code). A quoi l’on peut rétorquer qu’en réalité, les Evangiles canoniques n’avaient pas beaucoup d’intérêt à prétendre Jésus célibataire. Dans ces conditions, il s’agirait même, comme le souligne avec pertinence Natalia Trouillet (art. de La Vie), d’un indice de leur véracité :
« C'est peut-être justement ce qui les accrédite. Dans le monde juif comme dans le monde païen, le fait de rester célibataire et vierge n'était pas du tout un signe de sainteté. Les rabbis faisant autorité appuyaient cette autorité sur le fait d'être mariés et parents, d'avoir en quelque sorte réalisé pleinement le plan de Dieu pour l'homme pour pouvoir être réellement sages. »
Et d’ajouter :
« Aujourd'hui encore dans le judaïsme, il faut être âgé d'au moins 40 ans et être marié pour avoir le droit d'étudier la Kabbale. Si Jésus avait été marié, il est probable que ses disciples auraient mis cet aspect en valeur comme une preuve de son autorité. »
Ce qui rend faible leur assise.
D’autant qu’en fait, ces deux textes ont été produit au sein de communautés gnostiques, que le mariage de Jésus avec Marie-Madeleine arrangeait (seulement mystique et non consommé, vu leur mépris de la sexualité !), puisqu’il entrait en cohérence avec leur doctrine.
b. Un fragment de papyrus copte dévoilé au public en novembre 2012
Il s’agit d’un fragment de papyrus (4 cm × 8 cm), de provenance incertaine, daté prétendument du IV°s, réputé transcrire en copte un manuscrit du II°s encore dont on n’a pas retrouvé la trace.
Or ce fragment contient les parcelles de phrase suivantes : « Jésus leur dit : ‘Ma femme’ » et « Ma mère m’a donné la vie », puis « Marie est digne d’elle ».
Ce fragment a été présenté par Mme Karen King, professeur à la Harvard Divinity School (faculté de théologie protestante libérale), appartient au mouvement américain de « théologie féministe », qui s’applique à étudier notamment la place des femmes, le sexe et le genre dans le christianisme antique. Certes, ceci n’invalide pas la qualité éventuelle de la découverte, d’autant que Karen King ne qualifiait l’authenticité de ce fragment que de « probable », mais on devine en quel sens les travaux sont orientés !
Nous renvoyons aux commentaires de Natalia Trouiller (art. de La Vie), appuyé sur les conclusions d’experts défavorables à l’authenticité de ce fragment, et donc des paroles qu’il contient.
Les avis divergent.
a. Deux grandes thèses parmi d’autres
Certains ont voulu voir en Jésus un « rabbi de tendance pharisienne »
C’est la thèse de C. Perrot (Jésus et l’histoire).
Fondements de cette thèse :
Objections :
D’autres en ont fait une sorte d’anarchiste
C’est la thèse de J. Ellul (Anarchie et christianisme).
Fondements de cette thèse : les « coups de gueule » de Jésus contre certaines règles cultuelles, le mépris qu’il aurait manifesté envers des observances de la loi romaine (impôt), etc.
Objections :
b. La position la plus crédible
Petitfils pose un constat plus judicieux (Jésus, p. 178)
« Juif, Jésus l’est totalement. Cependant son comportement, son message montrent qu’il est un juif atypique qui refuse de se laisser enfermer dans les factions de son temps et leurs subtilités casuistiques. Il ne s’identifie à aucune d’elles ».
Et de s’expliquer en détails dans le ch. 7 de son Jésus.