Topo

Prologue de Saint LucAbbé Baumann

  St Luc (1, 1-4) : " Beaucoup on entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. "

Évangile selon Saint Luc, Prologue

St Luc dédicace son Evangile à un certain Théophile

La plupart des critiques modernes considèrent qu’il s’agit d’un personnage réel, peut-être un bienfaiteur de Luc à qui celui-ci offre son ouvrage en hommage, comme c’était encore la coutume il n’y a pas si longtemps.

En même temps, les Pères de l’Eglise élargissent la perspective : le sens de ce prénom (« celui qui aime Dieu ») les incite à penser qu’il ne s’agit pas d’un personnage réel mais d’une personnalité morale. Autrement dit, St Luc dédierait en fait son Evangile à toute personne qui aime Dieu tant soit peu, ou au moins à toute personne de bonne volonté (NB : n’oublions pas que Luc s’adresse aux païens et pas seulement aux juifs ou aux chrétiens).

C’est donc comme si St Luc interpelait chacun d’entre nous d’une manière singulière, afin que nous nous sentions concernés. Et parce qu’en outre, il le fait en utilisant la 1ère personne du singulier (il dit « je », ce qui est très rare à l’époque), comme pour nous montrer qu’il a mis dans son Evangile de sa propre personne, qu’il nous ouvre à ce qui lui est le plus cher, nous ne pouvons refuser d’ouvrir ce livre et de le lire.

C’est ce que dit St Ambroise, au début de son Commentaire de l’Evangile selon St Luc :

« Si tu aimes Dieu (‘Théophile’), c’est pour toi qu’il est écrit. Si c’est pour toi qu’il est écrit, accueillez ce présent de l’évangéliste, conserve avec soin au plus profond de ton cœur ce gage d’amitié ».

St Ambroise précise ensuite comment il convient de conserver cet écrit de St Luc. Il se sert pour cela d’une exhortation de St Paul à Timothée : « garde le bon dépôt avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous » (2 Tm 1,14). C’est donc à la lumière du St Esprit, sous l’impulsion duquel Luc a rédigé, qu’il faut lire cet Evangile, et pas autrement ; car de même que l’Esprit Saint est l’auteur ultime de la Révélation, de même il en est le seul interprète autorisé. 

Et puisque, par le baptême, comme le dit St Paul en un autre endroit, nous sommes devenus « le temple de l’Esprit Saint », il est certain que nous autres chrétiens sommes plus habilités que quiconque pour lire et comprendre cet Evangile. Ceci n’empêche pas (mais au contraire appelle de notre part) une invocation à l’Esprit Saint présent en nous, à chaque fois que nous voulons étudier un passage de l’Evangile.

Voici les conseils plus précis que donne ensuite St Ambroise dans son Commentaire.

« Regardez-le fréquemment, examinez-le souvent »

Comme on se plaît à lire et relire la dernière lettre d’un ami disparu, il faut revenir fréquemment au texte de St Luc. Comme tout livre de l’Ecriture Sainte, l’Evangile de St Luc contient la Parole même de Dieu ; or, cette Parole a une vertu particulière : une vertu « performative », ie qu’elle accomplit ce qu’elle annonce (comme au commencement où « Dieu dit… cela est »). En méditant assidûment l’Evangile de St Luc, il deviendra vraiment nôtre ; il nous nourrira, il nous guidera dans les circonstances quotidiennes de notre vie personnelle. 

Je vous donne 2 indices très concrets pour savoir où vous en êtes par rapport à l’Evangile :

  • tant que ce qu’il enseigne nous semblera encore étranger, c’est que nous ne l’aurons pas suffisamment fréquenté
  • aussi longtemps que certaines des phrases qu’il comporte ne viendront pas spontanément à notre esprit en telle ou telle situation, c’est que nous ne l’aurons pas ouvert assez souvent.

« La fidélité est le premier devoir envers un dépôt »

La fidélité qu’évoque St Ambroise consiste à éviter 2 pièges : la teigne et la rouille (cf. ce que dit Jésus en Mt 6,20 : « amassez-vous des trésors ; là, point de teigne ni de rouille qui consument »).

La teigne, selon St Ambroise, c’est l’hérésie. « Haeresis » signifie « choix » ou « tri » en grec. L’hérétique, c’est celui qui trie entre les vérités révélées, celui qui assume tel passage de l’Ecriture ou du Credo et pas tel autre. Une bonne part des commentateurs de l’Evangile de St Luc (même des professeurs éminents) en falsifient la compréhension parce qu’ils répugnent à accepter tel ou tel point de la Révélation (ex : ils tiennent les 2 premiers chapitres –l’Evangile de l’enfance- pour une fable, parce qu’ils ne croient pas aux miracles, aux anges, etc.). Mais sur ce point, je pense que nous sommes relativement tranquilles : le public de KTsens est plutôt orthodoxe.

La rouille, St Ambroise explique qu’elle désigne « le désir des richesses », « la passion de honneurs ». Et ça, ça peut nous concerner. Pour faire une lecture fructueuse de St Luc (et cela vaut pour toute l’Ecriture Sainte), encore faut-il que notre cœur ne soit pas immergé dans les préoccupations mondaines. « Si ton cœur est pur, ton œil aussi sera pur », dit Jésus, pour nous faire comprendre que seul celui qui s’approche de la Parole de Dieu avec un cœur relativement libre à l’égard des biens de ce monde peut en cueillir le fruit (ce n’est pas pour rien que Jésus, dans l’énumération des Béatitudes de Luc 6, place en 1er lieu celle de la pauvreté). Si tel n’était pas le cas, nous en resterions à la superficie des choses. Nous répugnerions d’ailleurs à accueillir dans toute sa radicalité la doctrine de l’Evangile. 

La rouille, c’est encore, selon St Ambroise, « la négligence ». Et là, nous sommes tous visés ! Pas question de s’approcher en dilettante de l’Ecriture Sainte, en personne qui se pique d’un peu de culture mais n’est pas prêt à fournir un réel effort. « Parce que te voilà tiède, dit dans l’Apocalypse l’Esprit à l’ange de l’Eglise de Laodicée, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3,15). Je vous le dis d’emblée : pas de place cette année pour ceux qui veulent assister « en clignotant », comme des intermittents, au commentaire que nous allons essayer de faire de l’Evangile de St Luc ! Pas de place pour les négligents.