La Tradition constante de l’Eglise, validée par le Magistère, attribue à St Luc la rédaction du 3ème Evangile.
Elle lui impute également la rédaction des Actes des apôtres, au motif que les deux textes ont le même destinataire (un certain Théophile), que l’Evangile se clôt sur l’Ascension et que les Actes commencent au même point, et que l’étude des deux écrits révèle des similitudes flagrantes au plan théologique, stylistique, etc.
Un document du Magistère apporte d’importants éclairages sur ce point : la Réponse de la Commission biblique pontificale du 26 juin 1912 (DS 3568-3578).
La Commission y confirme que l’Evangile selon St Luc a été rédigé en troisième lieu, après celui de St Matthieu (rédigé dans un premier temps) et celui de St Marc (rédigé en un deuxième temps) (question 5, DS 3572).
L’opinion majoritaire des commentateurs actuels prétend que Luc aurait rédigé ses ouvrages vers 85-90 ap. JC, soit assez tardivement après les faits rapportés.
Mais de solides arguments amènent à remonter plus haut dans le temps pour fixer la date de rédaction.
D’abord, à lire le prologue de son Evangile, on découvre St Luc soucieux de se fonder sur un maximum de témoignages de ceux qui avaient connu Jésus. Or, au vu de l’espérance de vie assez courte à l’époque, ainsi que des persécutions subies par les chrétiens, il semble probable que la plupart des témoins oculaires étaient morts en 85-90.
Par ailleurs, la Commission affirme pour sa part que St Luc a dû rédiger son Evangile avant la chute de Jérusalem, qui intervint en 70. En effet, cet Evangile, qui évoque la prophétie de Jésus concernant la ruine de Jérusalem, ne fait pas allusion à la réalisation de cette prophétie (question 6, DS 3573). L’argument sous-entendu est le suivant : si St Luc avait assisté au siège de Jérusalem avant de composer son Evangile, ou pendant sa rédaction, il n’aurait pas manqué d’en faire état, pour attester de la véracité de la prophétie du Seigneur.
J-C Petitfils fait une remarque qui permet de remonter plus haut encore que 70 : dans l’Evangile comme dans les Actes, Luc présente souvent les autorités romaines sous un jour favorable, ce qu’il n’aurait sans doute pas fait si celles-ci s’étaient montrées persécutrices ; or une violente action de police romaine contre les chrétiens a eue lieu consécutivement à l’incendie de Rome de 65 ; on peut donc en déduire que les écrits lucaniens furent composés avant cette persécution, soit avant 65 (Jésus, éd. Fayard, 2011, p.516).
En outre, pour préciser davantage la date de rédaction de l’Evangile selon St Luc, la Commission romaine tient le raisonnement suivant (question 7, DS 3574). Dans le prologue des Actes des apôtres, St Luc mentionne un 1er livre : « j’ai consacré mon premier livre, ô Théophile, à tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le commencement jusqu’au jour où (…) il fut enlevé au ciel » Ac 1,1-2. Il est parfaitement clair qu’il fait ici allusion à son Evangile (d’autant qu’il dédie également son Evangile à la même personne, Théophile). Il est donc évident que l’Evangile selon St Luc a été rédigé antérieurement aux Actes. Or, les Actes s’achèvent en évoquant la libération de St Paul, à la fin de sa première captivité romaine (Ac 28,30). Et puisque cette libération advint en l’an 63, Luc n’a pas pu composer son Evangile après 63.
Voici ce que nous apprend la Tradition.
St Luc est né à Antioche de Syrie (l’actuelle Antakia, en Turquie). Les Actes des apôtres le montrent d’ailleurs grand connaisseur de l’Eglise d’Antioche, dont il relate les débuts au ch. 11 (19-26).
St Paul laisse entendre que Luc est issu du paganisme, et non du judaïsme :
Peut-être (mais cela n’est pas avéré) que St Luc, avant de devenir chrétien, faisait-il partie de ceux qu’on appelle les « craignant-Dieu », ie : un païen en voie de conversion au judaïsme.
Si la date de sa conversion paraît très précoce, le prologue de son Evangile laisse entendre qu’il ne fut pas témoin direct de la vie de Jésus, puisqu’après avoir évoqué « ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires », il confesse avoir dû pour sa part « (s’informer) exactement de tout depuis les origines ».
Certains supposent toutefois qu’il fut l’un des 72 disciples, arguant du fait que l’allusion dans le prologue de l’Evangile, si elle nie clairement qu’il ait été témoin « dès le début », n’empêche pas qu’il le soit devenu au cours de la vie publique du Seigneur.
Luc était médecin :
Ce devait être un homme cultivé :
Qu’il soit un homme cultivé, et qu’il ait été disposé à accompagner St Paul en ses pérégrinations n’ont rien d’étonnant, quand on sait le statut de choix que représentait la profession de médecin, depuis qu’Hippocrate et son école avaient donné à ce métier une aura proprement scientifique. Il n’était pas rare de voir des médecins mener alors une existence d’ « honnêtes hommes » avant l’heure : beaucoup menaient une vie cosmopolite, certains étant même très prisés à la cour des souverains.
St Luc était compagnon et disciple de St Paul.
Le témoignage d’un W. Ramsay est à cet égard significatif. Cet homme, professeur à Oxford au XX°s, avait épousé la carrière d’archéologue notamment pour établir la rédaction très tardive des Actes des apôtres (milieu du II°s). Ceci aurait largement terni le caractère historique des écrits lucaniens. Or, son étude le contraignit à un revirement et il dut conclure :
« Luc est un historien de premier rang ; ses déclarations ne sont pas seulement dignes de confiance, il possède le vrai sens historique… en bref, cet auteur devrait être placé parmi les plus grands historiens ».
Bel hommage, peu suspect de partialité !
Voici ce qu’en dit le Magistère :
« Les paroles et les faits (…) exposés par Luc, informé en toute exactitude de tout dès son origine auprès de témoins dignes de foi (…) réclament de droit cette foi entière que l’Eglise leur a toujours accordée » (Commission biblique pontificale, Réponse du 26 juin 1912, déjà citée).
La volonté de Luc de dresser un récit vraiment conforme à ce qui s’est historiquement passé apparaît clairement dans ses écrits :
St Luc a donc mis un soin particulier à écrire un livre historique. Pour autant, il serait vain d’attendre de son Evangile un récit d’histoire au sens où nous l’entendons aujourd’hui, ie une histoire scientifique, une sorte de « photographie » de ce qui s’est passé. C’est bien cette attente déçue de certains qui, remarquant des divergences, sinon des oppositions entre les quatre Evangiles au plan de la chronologie, concluent que les Evangiles n’ont rien d’historique au sens actuel, et à déduire indûment qu’ils ne racontent rien qui ait vraiment eu lieu.
Telle n’est cependant pas la manière de procéder des historiens de l’époque (juifs ou païens), qui prennent souvent de grandes libertés par rapport à la chronologie des faits. En outre, il ne faut jamais oublier que l’Evangile est avant tout animé par un souci théologique, ie une volonté d’entrer dans le regard de Dieu sur toute chose (or Dieu est au-delà du temps).
St Paul, nous l’avons dit, qui a eu accès au témoignage des apôtres, même s’il ne les a pas beaucoup fréquentés.
La plupart des critiques s’accordent à dire que St Luc s’est largement inspiré de St Marc, qu’il semble avoir connu dans l’entourage de St Paul, si l’on en croit les Actes.
Il n’a pas dû lire la version écrite de l’Evangile de Marc, sans quoi il n’aurait pas ignoré toute une partie majeure de celui-ci ; mais son plan et de nombreux passages en sont vraiment proches.
Quant à l’influence de St Matthieu, la majorité des exégètes pensent que, si St Luc n’a pas dû le rencontrer personnellement, ni avoir sous les yeux son Evangile en grec (dont son Evangile est trop éloigné), Luc a probablement disposé soit d’une version primitive de l’Evangile de Matthieu (en araméen), soit au moins puisé à une source commune à St Matthieu et lui. Luc est, de fait, clairement tributaire de points communs avec Matthieu.
Il semble que Luc ait également rencontré St Jean. C’est peut-être par son biais qu’il a eu accès au témoignage des scènes de l’enfance, dont la Vierge Marie seule avait été témoin.
A propos de ces scènes, on a parfois prétendu que St Luc aurait tenu directement de la Mère de Dieu leur témoignage ; or, il s’avère très improbable que l’évangéliste et Marie se soient jamais rencontrés. En effet, d’après les Actes, Marie n’apparaît qu’au tout début de la communauté primitive de Jésusalem, ce qui laisse supposer une disparition assez rapide après la mort du Christ, à une époque où St Luc ne devait sans doute pas encore être chrétien.
Par ailleurs, St Luc a rencontré St Jacques (1er évêque de Jérusalem) et St Philippe (l’un des 7 diacres).
Enfin, étant donné la volonté que St Luc manifeste de s’appuyer sur de nombreuses sources, il est tout à fait loisible de penser qu’il a puisé aux témoignages de la famille de Jésus, des saintes femmes, ainsi que de plusieurs disciples.
Une présentation particulière de Jésus
Luc n’a pas fréquenté Jésus au cours de sa vie terrestre. Par conséquent, contrairement aux disciples, il n’a pas eu à traverser des périodes d’hésitation devant des apparences déroutantes du Fils de Dieu, qui se présentait sous les traits d’un simple fils de charpentier, qui fut en proie à la faim, à la passion et à la mort.
C’est directement Jésus dans la lumière de la résurrection, dont témoignaient ceux qui l’avaient vu sorti du tombeau, qui emporta l’adhésion de St Luc et sa conversion. Jésus victorieux, dont il était déjà avéré que la revendication de sa divinité était vraie. D’où le fait qu’il insiste tant sur les titres de « Seigneur » et de « Fils de Dieu » qui conviennent au Jésus glorieux.
Par ailleurs, puisque Luc vient du paganisme, et que son Evangile d’adresse à des païens, il n’est pas étonnant que, pour capter l’attention des païens, il mette en évidence l’amour divin, la douceur et la miséricorde émanant de Jésus (qui tranche avec la froideur des divinités païennes). Notez que la parabole du fils prodigue lui est propre, ou encore qu’il insiste plus que les autres évangélistes sur le pardon accordé par Jésus à la femme pécheresse. Ce fait a tellement frappé Dante Alighieri qu’il a qualifié Luc d’ « écrivain de la mansuétude du Christ ».
Il n’est pas étonnant non plus, eu égard à ses origines et à son auditoire païen, qu’il insiste sur le caractère universel du salut obtenu par le Christ davantage que les autres évangélistes :
Chez St Luc, la vie publique de Jésus est présentée comme une longue pérégrination vers Jérusalem. L’évangéliste utilise souvent les expressions « faire route », « marcher », « cheminer », et Jésus se montre chez lui particulièrement soucieux de monter à Jérusalem, où il s’offrira en sacrifice.
Plus que les autres évangélistes, St Luc utilise le mot « esprit ». Encore faut-il préciser que, dans les autres Evangiles (à l’exception de Jean), ce terme est le plus souvent employé pour désigner des esprits impurs, alors que Luc l’emploie majoritairement pour évoquer le St Esprit. Les Actes des apôtres font l’effet, sous cet angle, d’une véritable révélation de la 3ème Personne de la TST.
Etant donné que l’Evangile de St Luc contient les récits de l’enfance du Christ, envisagée du point de vue de Marie, on peut dire que la présence de celle-ci est d’emblée plus prégnante que dans les autres Évangiles (même si, bien sûr, l’Évangile de Jean lui laisse une place toute particulière… comment pourrait-il en être autrement chez celui qui recueillit la Mère de Dieu après la mort de Jésus ?).
La beauté de l’âme de Marie est décrite, de manière pudique, par St Luc. C’est sans doute au titre de cette délicatesse que St Luc a parfois été considéré comme le peintre de la Vierge (l’Orient chrétien lui attribue la 1ère icône mariale).
Son texte est absolument crucial pour la doctrine mariale :
Par un emploi fréquent de « aujourd’hui s’accomplit », ou « c’est maintenant que s’accomplit », Luc insiste sur la nécessité faite au chrétien de se charger quotidiennement de la croix. Il met en exergue le devoir de se détacher de tout, de prier avec persévérance, de pratiquer la miséricorde, pour accéder au Royaume.
Ses écrits apparaissent comme baignés dans la joie, depuis les récits de l’enfance jusqu’à la vie de la primitive Eglise dans les Actes.