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[2] Les grandes dates de la vie de JésusAbbé Baumann

En deux séances, nous allons envisager ce qu’il est possible de connaître de Jésus, outre son existence, au plan historique. Nous nous appuierons pour cela sur le principal document dont nous disposons : le NT, et plus spécialement sur les Evangiles.

Ecartons d’emblée 2 objections :

  • 1ère objection (émanant de non croyants) : on ne pourrait rien dire de solide au plan historique à propos de Jésus, puisque la quasi-totalité des données proviennent du NT, rédigé par ses disciples et donc éminemment subjectif. Nous avons déjà rencontré cette objection, à propos de l’existence de Jésus. Nous y apportons la même réponse : le NT est crédible au plan historique (cf. ce que nous disions dans la 2ème partie du topo de la semaine dernière).
  • 2ème objection (émanant de chrétiens) : collecter des détails historiques sur Jésus, auquel tout homme peut accéder à l’aide de son intelligence naturelle, n’aurait pas d’intérêt, au regard de la connaissance théologique que les Ecritures nous offrent de lui. 

C’est vrai pour une part ; cependant, puisque le Fils de Dieu a pris la peine de s’incarner, je ne crois pas qu’on puisse faire l’économie d’une petite séance consacrée aux éléments historiques dont tout un chacun dispose à son sujet. 

I. La mort de Jésus

1. Les eléments sûrs

  • Jésus fut condamné à mort et crucifié alors que Pilate était procurateur de Judée, donc entre 26 et 37 ap. JC
  • Jésus est mort un vendredi (Mc 15,42 : « la veille du Sabbat » ; Jn 19,31 : « pour éviter que les corps restent en croix durant le Sabbat »)
  • Jésus est mort aux alentours de 15h (« à la 9ème heure, Jésus clama en un grand cri ‘Eloï, Eloï, lema sabachthani’ (…) Et, jetant un grand cri, il expira » Mc 15,33-37 et passages parallèles dans les synoptiques).

2. Les éléments discordants et hypothèses conséquentes

  • Si on suit les Synoptiques (Mt, Mc, Lc)

Jésus aurait partagé avec ses disciples le repas pascal la veille de sa mort ; or ce repas se prend, selon la tradition juive, la veille de Pâque ; donc Jésus serait mort le jour de Pâque.

Les calculs astronomiques permettent de connaître un jour de Pâque tombé un vendredi entre 26 et 37 ap. JC (durée du gouvernorat de Pilate) : 27 avril 31.

  • Si on suit l’Evangile de St Jean (Jn 18,28 ; 19,14 ; 19,31)

Jésus aurait été tué le « jour de la Préparation », nom donné à la veille de Pâque.

Les données de St Jean semblent plus plausibles que celles des Synoptiques :

  • c’est le jour de la Préparation qu’on immole les agneaux, à partir de 14h30 ; il est cohérent que Jésus, Agneau sans tache, ait été immolé au même moment (ce qui ne serait pas le cas, si on retenait, avec les Synoptiques, qu’il est mort le jour de Pâque)
  • Jean ne se contredit pas, puisqu’il ne dit pas que le repas pris la veille avec ses apôtres (la Cène) ait été le repas pascal
  • on voit mal les juifs permettre de tuer un homme le jour de Pâque (il est interdit de verser le sang ce jour-là)
  • l’exécution la veille de la Pâque juive est attestée par la tradition juive (cf. T.b. Sanhédrin 43a), ainsi que par une partie éminente de la tradition chrétienne primitive (cf. Apollinaire de Hiérapolis, Hippolyte, Clément d’Alexandrie…).

Si on suit que Jésus est mort la veille de Pâque et un vendredi entre 26 et 37 ap. JC (durée du gouvernorat de Pilate), les calculs concluent à 2 dates possibles : 7 avril 30 ou 3 avril 33.

La plupart des critiques retient le 7 avril 30, mais nous préférons adhérer à l’hypothèse du 3 avril 33, à cause d’un détail relaté par l’Evangile : les ténèbres qui recouvrirent la terre ce jour-là aux alentours de la mort de Jésus (« à partir de la 6ème heure, l’obscurité se fit sur toute la terre » Mt 27,45 ; Mc 15,33 ; Lc 23,44). 

Petitfils évoque la découverte que deux astrophysiciens d’Oxford (C.J. Humphreys et W.G. Waddington), publièrent dans la revue Nature en 1983 : le 3 avril 33 a eu lieu une éclipse partielle de lune, commencée à 15h40 et atteignant son maximum à 17h15.

Puisqu’aucun phénomène semblable n’est observable pour le 7 avril 30, l’hypothèse du 3 avril 33 est plus plausible au regard de cet élément.

II. Le début de la vie publique de Jésus

1. Hypothèse à partir du début du ministère de St Jean-Baptiste

Lc (3,1 ss) indique avec une relative précision le début du ministère de St Jean-Baptiste :

« L’an 15 du principat de Tibère César (…) la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Et il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés ». 

Or l’histoire nous apprend que Tibère commença à régner le 19 août 14 ; donc la 15ème année de son règne se situe en 28-29. 

Mais selon la manière orientale (syrienne) de calculer [je vous fais grâce des détails !!], on doit considérer que la 15ème année du règne de Tibère va du 1er oct. 27 au 30 sept. 28. 

C’est donc en 27-28 que St Jean-Baptiste a dû commencer son ministère.

Pourquoi cette indication nous intéresse-t-elle pour dater le début de la vie publique de Jésus ? Parce qu’il semble bien, selon les détails des Evangiles, que Jésus ait approché Jean-Baptiste, et commencé son propre ministère (sa vie publique), peu de temps après que Jean-Baptiste ait commencé le sien, donc en 27-28.

2. Deux éléments à l’appui de cette hypothèse

Nous empruntons à C. Perrot les deux judicieux raisonnements qui suivent (in Jésus et l’histoire, p. 74-75).

  • **un détail de l’Evangile de St Jean, dans l’épisode de la purification du Temple par Jésus, au début de sa vie publique (Jn 2,13-25) **

A Jésus, qui vient de renverser les tables de change, les juifs demandent : « quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? ». Jésus répond : « détruisez ce sanctuaire et en 3 jours, je le relèverai ». Les juifs lui disent alors [c’est ce détail qui nous intéresse] : « il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire… ».

Nous savons par Flavius Josèphe (in Antiquités juives) que le travail de reconstruction du Temple par Hérode a commencé en l’an 20-19 avant notre ère ; si on y ajoute 46 ans, on peut dire que ce dialogue entre Jésus et les juifs s’est tenu dans les alentours de 27 de notre ère.

Et puisque, selon St Jean, ce dialogue a eu lieu au début de la vie publique de Jésus, cela implique que le ministère public de Jésus a débuté vers l’an 27.

  • Un détail de l’Evangile de St Luc : l’épisode de la 1ère prédication de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-30)

Dans ce passage, Jésus commence par lire le livre d’Isaïe, puis le commente ; or le rabbi ne choisit pas au hasard ce qu’il va lire et commenter : il se plie à l’ordre liturgique juif. Il fallait donc que la lecture soit en cohérence avec l’année liturgique juive en cours.

Or, il se trouve que l’année 27-28 était une « année sabbatique », année de repos et de grâce (on remettait les dettes, etc.) et que la lecture d’Isaïe était la lecture biblique par excellence de l’ « année sabbatique ».

On peut donc postuler que cette 1ère prédication de Jésus a eu lieu en 27-28 ; et donc que son ministère a commencé cette année-là.

3. Une objection et une réponse

  • Objection

L’Evangile de St Jean mentionne 3 fêtes de Pâque durant le ministère de Jésus. D’après cela, le ministère de Jésus aurait duré 3 ans.

Or, puisque nous avons postulé que la mort de Jésus avait probablement eu lieu le 3 avril 33, les données de Jean impliquent que le ministère public de Jésus ait commencé en 30, et pas en 27-28.

  • **Réponse **

Il n’est pas certain qu’il faille prendre au pied de la lettre les 3 années publiques de Jésus impliquées par l’Evangile de St Jean. Peut-être St Jean n’a-t-il pas fait allusion à toutes les fêtes de Pâque auxquelles Jésus a pris part à Jérusalem… 

Si l’on devait absolument lire au pied de la lettre les données de St Jean, il faudrait procéder de même avec celles des autres Evangiles. Or, si l’on s’en tient à St Marc, la vie publique de Jésus n’aurait duré qu’à peine quelques mois ; si l’on s’en tient aux deux autres Synoptiques, les données sont encore moins claires. 

En d’autres termes, rien ne force à croire, si l’on tient que Jésus est mort le 3 avril 33, que sa vie publique ait commencé 3 ans plus tôt, en 30.

III. La naissance de Jésus

1. Difficultés

La date de naissance de Jésus est la plus difficile à établir, notamment parce que les indices sur lesquelles repose sa datation et ses détails géographiques relèvent essentiellement des « Evangiles de l’Enfance » de St Matthieu (1-2) et St Luc (1-2), et que ceux-ci posent un certain nombre de difficultés.

C’est ce que concède même Petitfils, pourtant très bienveillant à leur égard (cf. l’épilogue de son Jésus, p. 454) : « De toute évidence, les Evangiles de l’Enfance n’entretiennent pas le même rapport à l’Histoire que les récits de la vie publique de Jésus ».

Il explique pourquoi :

  • ils remontent plus loin dans le passé que le reste du récit évangélique (env. 70 ans en arrière) 
  • ils évoquent des évènements privés (annonce angélique à St Zacharie, songes de St Joseph, Annonciation, Visitation, etc.), dont le nombre de témoins encore vivants à ce moment-là est très restreint
  • ils ont été écrits dans une perspective apologétique (défense de la foi) bien spécifique face aux juifs et aux premières hérésies : l’exaltation de l’origine divine de Jésus dès sa conception et non son adoption au moment du baptême de Jésus… 
  • d’où la multiplication des références scripturaires, qui pourrait parfois faire croire que St Matthieu et St Luc ont brodé une histoire pour la rendre cohérente avec les prophéties
  • d’où l’aspect merveilleux des théophanies et angélophanies, qui peut mettre l’historien mal à l’aise… d’autant que la piété populaire a encore accru ce caractère merveilleux en enrichissant les récits de l’enfance d’un folklore pas toujours très crédible !

Parce que les récits de l’Enfance de St Matthieu et St Luc présentent un certain nombre de données apparemment contradictoires, une grande part de la critique a cru pouvoir conclure qu’ils manquaient de crédibilité historique. Le Père Laurentin, spécialiste des « Evangiles de l’Enfance », a eu raison de cette critique, en montrant très bien :

  • que ces divergences attestaient précisément qu’il n’y avait pas eu de volonté de trafiquer l’histoire, auquel cas leurs récits auraient été beaucoup plus semblables
  • que ces divergences laissaient sauf l’essentiel

Sur ce point, cf. R. Laurentin : Les Evangiles de Noël, éd. Lethielleux, p. 247-248 ; Vie authentique de Jésus-Christ, t.II, éd. Fayard, p.60.

2. La date de naissance de Jésus

C’est désormais un fait avéré que Jésus n’est pas né le 25 décembre de l’an 1 de notre ère.

  • on doit à une erreur du moine Denis le Petit (VI°s) d’avoir ainsi daté le début de l’ère chrétienne, faute de données précises ; mais en réalité Jésus est né quelques années plus tôt, comme nous allons le voir
  • si la Nativité a été fixée au 25 décembre par le pape Libère (en 354), c’est seulement en vue de christianiser la fête païenne du solstice d’hiver, appelée « fête du Sol Invictus ».

Puisque les « Evangiles de l’Enfance » ne nous donnent pas de date précise, nous n’avons pas d’autre solution que de partir de quelques-unes de leurs données importantes et de voir si on peut les recouper avec des faits avérés scientifiquement, datés historiquement, qui permettraient de trouver la date de naissance de Jésus.

  • Le roi Hérode le Grand

C’est sous le règne d’Hérode qu’est né Jésus (Mt 2,1-15 ; Lc 1,5).

Or l’immense consensus des historiens tient qu’Hérode est mort en 4 avant notre ère.

La naissance de Jésus est donc antérieure à l’an 4 avant notre ère.

Laurentin précise qu’en 1966, certains chercheurs, par l’étude des calendriers et des monnaies (qui portent l’effigie du souverain), ont prétendu qu’Hérode serait mort seulement en l’an 1 avant notre ère. Ce qui permettrait de faire remonter la naissance de Jésus non plus nécessairement avant l’an 4 avant notre ère, mais jusqu’à l’an -1 (in Vie authentique de Jésus-Christ, p. 79). Cependant, cette piste s’avère trop menue, trop contestable, pour qu’on puisse la préférer à celle généralement retenue de la mort d’Hérode en 4 avant notre ère.

La naissance de Jésus semble donc antérieure à - 4.

  • Le recensement d’Auguste

Voici comment St Luc présente les choses : « Il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville » (Lc 2,1-3).

Le P. Laurentin est de ceux qui pensent qu’on ne peut rien tirer de ces éléments pour dater la naissance de Jésus (Vie authentique de Jésus-Christ, p. 63).

J-C. Petitfils et J. Ratzinger sont plus mesurés et entrent dans le détail. Nous nous contentons, pour l’heure, d’indiquer les passages de leurs ouvrages qui traitent de ce point :

-J-C Petitfils : Jésus, p. 468-470

-J. Ratzinger : L’enfance de Jésus, p. 91-93.

  • L’étoile des mages

En 1603, l’astronome Kepler observe la conjonction très lumineuse de Jupiter et de Saturne dans la constellation des Poissons : leur rencontre donnait alors l’aspect d’un astre très lumineux. Par calcul, il parvient à établir que le même phénomène a dû se produire en 7 avant notre ère. 

Faits troublants : plusieurs documents juifs du datés du IX° au XVI°s estimaient qu’une telle conjonction était le signe que le Messie devait apparaître !

La thèse de Kepler n’a pas été retenue. Mais plusieurs découvertes ont abondé dans son sens.

En 1902, un papyrus égyptien appelé « table planétaire », qui indiquait tous les mouvements des planètes entre 17 av. JC et 10 ap. JC, relevait que la fameuse conjonction astronomique avait bien eu lieu en -7, dans le ciel du Proche-Orient. 

En 1925, un chercheur allemand, qui examinait des tablettes d’argiles antiques trouvées près de Bagdad, découvrit un calendrier qui affirmait que la conjonction astronomique s’était produite en 7 ou 6 av. JC.

Des astronomes contemporains ont confirmé par calcul cette donnée.

Vue la rareté de ce phénomène, il est très précieux de constater sa coïncidence avec le témoignage de l’Ecriture. Ceci nous incite à penser que Jésus serait né en 7 ou 6 avant notre ère.

3. Une objection

Nous avons établi que Jésus semblait être né en 7 ou 6 avant notre ère. Et plus haut, nous avons dit qu’il avait probablement commencé sa vie publique en 27-28. Il aurait donc entamé son ministère public entre 33 et 35 ans.  

Ne sommes-nous pas là en contradiction avec ce que déclare St Luc : « Jésus, à ses débuts, avait environ 30 ans » (3,23) ? Ne faut-il pas alors, faisant confiance à St Luc, qui dit avoir recueilli le témoignage des apôtres (cf. le prologue de son Evangile), revoir tous nos calculs ?

C. Perrot nous indique une piste pour sortir de cette perplexité (Jésus et l’histoire, p. 75). Il ne semble pas qu’il faille prendre cette indication d’âge par St Luc au pied de la lettre. 30 ans, dans le contexte juif de l’époque, était tenu pour l’âge idéal de la maturité. Ezéchiel est réputé avoir reçu sa vocation à cet âge (Ez 1,1) ; on dit que David a reçu l’onction à 30 ans (2 S 5,4). 

D’où le fait que cette indication ne contredise pas, en fait, les dates que nous avons déterminées jusqu’ici : 

  • naissance de Jésus : 7-6 av. notre ère

  • début de sa vie publique : 27-28 de notre ère, entre 33 et 35 ans

  • mort : 3 avril 33, à 39 ou 40 ans.

  • abbé René LAURENTIN : Vie authentique de Jésus-Christ, t. II « Fondements, preuves et justification » (éd. Fayard, 1996) [NB : ouvrage de référence, écrit par un exégète de renom, très fidèle à la Tradition lorsqu’il composa ce livre]

  • Charles PERROT : Jésus et l’histoire (éd. Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », 1993) [NB : parfois trop radical dans la critique des données traditionnelles]

  • Jean-Christian PETITFILS : Jésus (éd. Fayard, 2011)

  • Joseph RATZINGER/ BENOIT XVI : L’enfance de Jésus (éd. Flammarion, 2012)