Cette question peut vous sembler saugrenue, tant le fait que Jésus ait existé paraît évident. Pourtant, il est légitime de la prendre en compte, puisque certains se sont sentis autorisés à remettre en cause ce fait, prônant ce qu’on appelle la thèse « mythiste » :
Si les historiens ont, dans leur immense majorité, écarté cette thèse, elle n’en compte pas moins des partisans contemporains :
On trouve des réminiscences vulgarisées de leurs thèses dans certains articles évoquant parfois ce qu’ils qualifient d’ « incertitude scientifique fondamentale ».
D’où la nécessité d’étayer notre affirmation que Jésus a bien existé. Pour cela, nous disposons :
« Si personne dans l’Antiquité n’a contesté l’existence historique de Jésus, force est de reconnaître que les données le concernant (non chrétiennes) sont pauvres et peu nombreuses » J-C Petitfils (Jésus).
Il n’y a cependant pas lieu de s’alarmer, car, comme poursuit le professeur Petitfils, « le fait, en soi, n’a rien d’étonnant ». Il s’explique :
Flavius Josèphe
Aristocrate juif lettré (37-105 ap. JC), issu d’une famille sacerdotale de Judée.
Lors des soulèvements juifs contre l’occupant romain, d’abord modéré, il finit par prendre la tête des troupes insurgées. Rallié finalement à l’Empire, il servit lors du siège de Jérusalem d’intermédiaire entre romains et juifs rebelles, en vain. Il émigra alors à Rome où il fut protégé par plusieurs empereurs.
Voici ce qu’il écrit dans un ouvrage rédigé en 93-94, Les Antiquités juives :
« En ce temps-là vivait un sage nommé Jésus. Il se conduisait bien et était estimé pour sa vertu. Et un grand nombre de gens parmi les juifs et les autres nations devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples continuèrent à l’être. Ils disaient qu’il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu’il était vivant. Ainsi, il était peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté tant de merveilles »
Intéressant qu’un juif affirme, indépendamment du NT l’existence d’un homme nommé Jésus, réputé pour sa sagesse et sa vertu !
Le Talmud
La Mishna est une collection des lois et coutumes traditionnelles des écoles pharisaïques, mise par écrit à la fin du II°s de notre ère. Le Talmud en est un commentaire, dont nous possédons 2 versions, datant du IV° et du V°s.
Les 2 versions du Talmud comportent peu d’éléments historiques et sont très polémiques à l’égard de Jésus, mais elles n’en remettent jamais en cause l’existence et, même si elles déforment sa vie, elles n’en rapportent pas moins des éléments qui recoupent les Evangiles.
Mara Bar Sérapion
Stoïcien syrien.
Il écrit une lettre à son fils Sérapion, en 73 ap. JC, dans laquelle il évoque la mort des « grands hommes » (Pythagore, Socrate), rangeant Jésus parmi eux : « Quel avantage les Juifs ont-ils tiré de la mort de leur roi sage ? (…) ce roi sage n’est même pas mort pour un quelconque profit ; il a vécu de l’enseignement qu’il avait donné ».
Tacite
Historien romain.
Il rapporte dans ses Annales, vers 110 ap. JC, la persécution des chrétiens de Rome par Néron et parle de Jésus : « le Christ, fondateur du nom (de Chrétiens), fut tué par Ponce Pilate, procurateur de Judée sous le règne de Tibère ».
Lucien de Samosate
Satiriste du II°s ap. JC.
Dans Le Pèlerin qui passe, il critique le Christ et les Chrétiens: « L’homme qui a été crucifié en Israël parce qu’il avait intro cette nouvelle secte dans le monde (…) en plus, celui qui leur avait donné une loi les avait persuadés qu’ils étaient tous frères après qu’ils aient transgressé une fois pour toutes en reniant les dieux grecs et en adorant ce même sophiste crucifié, et vivant sous ses lois ».
Pline le jeune
Gouverneur de Bithynie en Asie mineure en 112 ap. JC.
Il écrit à l’empereur Trajan à propos des Chrétiens et de leur dévotion envers le Christ : « ils se rassemblent à jour fixe, avant le lever du soleil et chantent une hymne au Christ comme à un dieu ».
Suétone
Annaliste sous Adrien.
Il raconte, vers 120 ap. JC, dans sa Vie des 12 Césars, que l’empereur Claude expulsa les Juifs de Rome, au motif qu’ils y fomentaient des troubles sur les intrigues d’un certain Christus : « Pendant que les Juifs causaient des troubles à l’instigation de Christus, il les expulsa de Rome » (Remarque : les Actes des Apôtres (18,1-2) avaient fait allusion à cette même expulsion).
Il s’agit ici de les considérer non pas avec le regard de la foi (qui y voit le lieu de la Révélation divine), mais avec celui de la raison naturelle, à la portée de tout un chacun.
Pour pouvoir s’appuyer sur eux, afin de montrer l’existence historique de Jésus, encore faut-il établir qu’ils sont des récits historiques crédibles.
Pour cela, il nous faut progresser avec ordre, afin d’établir :
En dépit de la fragilité de leur support (papyrus, parchemins), des persécutions qui s’en prirent à eux (car fondements de la foi), et des vicissitudes de l’histoire, on possède des manuscrits nombreux et anciens : + de 5300 manuscrits du NT datés du II° au VII°s.
Entre autres trésors, on a retrouvé 2 manuscrits presque complets du NT datés du IV°s. Ce qui place leur rédaction à moins de 300 ans des faits qu’ils racontent.
Cela ne vous dit sans doute rien…alors comparons avec des manuscrits d’auteurs païens très fameux de l’Antiquité :
Si personne ne remet en doute l’authenticité des textes des auteurs païens de l’Antiquité, alors que nous n’en possédons que des manuscrits assez récents, a fortiori doit-on admettre l’ancienneté des Evangiles dont nous possédons des manuscrits bien plus vieux et nombreux.
Conclusion de l’abbé Bernard Lucien (prof. au Séminaire de la Fraternité St-Pierre, cf. la bibliographie de ce topo) : « la quantité et la qualité des manuscrits (au moins partiels, y compris les fragments) que nous possédons pour les textes du NT, spécialement pour les Evangiles, sont de loin supérieurs à tout ce que nous avons pour les textes classiques de l’Antiquité grecque et latine » (p.285).
Pour déterminer la fiabilité d’un document historique, la première question à se poser est : combien de temps s’est-il est écoulé entre les évènements et leur narration ? Plus cet intervalle est bref, plus on a de chances que l’écrivain ait été témoin direct des faits, plus le récit qu’il en donne peut être jugé crédible.
En un mot, il faut démontrer l’existence précoce du NT.
Je me contente de deux éléments de preuve que nous avons :
Au sujet de la chute de Jérusalem
Les Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) rapportent la prédiction par Jésus de la ruine de Jérusalem.
Or, l’histoire nous apprend que la ruine de Jérusalem a eu lieu en 70 après JC.
Pourtant, aucun texte ne souligne, dans les Evangiles synoptiques, l’accomplissement de cette prophétie ; ce que les évangélistes n’auraient pas manqué de faire, pour montrer que Jésus était un authentique prophète, s’ils avaient été spectateurs d’un tel fait, ou si on leur en avait rendu compte.
On peut donc en déduire que tous les textes des Evangiles synoptiques ont été écrits avant la chute de Jérusalem, donc avant 70.
Ce raisonnement a été tenu par un théologien anglican ultra-libéral, donc peu suspect de fondamentalisme, ou de traditionalisme outré, J.A.T Robinson (traduit en français en 1987 : Re-dater le Nouveau Testament). J-C Petitfils (Jésus, p.507) rapporte que cet élément est d’une telle portée qu’il a fait vaciller les thèses de R.E Brown, exégète emblématique d’une école favorable à la datation tardive des synoptiques. Ce dernier s’exprime en ces termes : « nous admettons que l’absence d’une allusion de l’Evangile (et même en fait du NT) indiscutable, claire, précise, à la destruction du Temple déjà survenue demeure problématique, car l’évènement devait avoir eu un énorme impact sur les chrétiens) » (Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard, p.314).
Les Pères de l’Eglise les plus anciens citent des passages du NT, ou au moins font allusion à l’existence des livres qui le constituent
Implication : à leur époque, les Evangiles étaient suffisamment établis pour qu’on puisse les citer comme faisant autorité. Ils ont donc sans doute été rédigés largement avant que les Pères y fassent allusion (St Clément de Rome, Epitre aux Corinthiens, en 95 ap. JC ; St Ignace d’Antioche, Lettres, en 115 ap. JC ; St Polycarpe, Epitre aux Philippiens, en 120 ap. JC).
On a prétendu que les Evangiles, s’ils étaient bien de rédaction ancienne, ne pouvaient cependant pas être tenus pour des récits historiques, parce qu’ils ne répondent pas aux canons de l’histoire telle qu’elle est pratiquée de nos jours (histoire dite scientifique).
Que répondre ?
Certes, les évangélistes ne font pas de l’histoire au sens moderne… ce n’en est pas moins de l’histoire !
Ils n’ont pas d’abord voulu rédiger des biographies de Jésus (avec appareil critique, citations, renvois à des archives…), puisque ce qui les intéressait était avant tout d’annoncer le salut apporté par JC ; mais ils attestent avoir voulu relater fidèlement les faits :
St Luc (1, 1-4) : « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des évènements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires (…), j’ai décidé moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçu »
St Jean (1 Jn 1,1) : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nos yeux ont vu, ce que nous avons touché de nos mains, nous en témoignons »
On peut distinguer facilement, dans le texte évangélique, ce qui relève de l’allégorie (paraboles), ce qui relève de la poésie (Benedictus, Magnificat) et le reste du récit, oùapparaissent des éléments typiques du genre historiques. Ceci nous fait clairement comprendre que les évangélistes ont vraiment voulu faire de l’histoire :
B XVI (L’enfance de Jésus, Flammarion, p.32) : « chacun à sa manière Matthieu et Luc (on peut dire la même chose des 2 autres évangélistes) voulaient non pas raconter des « histoires » qu’écrire une histoire réelle, qui a eu lieu ». Le pape précise : « Certainement une histoire interprétée et comprise selon la parole de Dieu. Cela signifie qu’il n’y avait pas une intention de raconter de façon complète, mais de noter ce qui, à la lumière de la Parole de Dieu, et pour la communauté naissante de la foi, apparaissait important ».
A ce stade, on pourrait objecter que, quand bien même les rédacteurs du NT auraient été témoins des faits, rien ne nous dit qu’ils ont relaté les faits tels quels. On dirait alors qu’ils ont sans doute enjolivé, transformé, ce dont ils avaient été témoins.
Pour répondre, il nous faut montrer que les rédacteurs du NT étaient des personnes intègres, qui n’avaient ni l’habitude de mentir, ni aucun intérêt à le faire.
Puisque le NT a été rédigé à une époque très proche des faits relatés, certains témoins des faits relatés étaient encore en vie (ou au moins les proches de ces témoins directs). Si le NT contenait des fadaises, aucun doute que ces témoins auraient contesté vivement ces témoignages ! Or rien de tel n’est advenu.
Jamais personne n’a remis en cause la probité de ces 4 hommes. S’ils avaient eu la réputation de mentir, s’ils avaient eu une vie dissolue, sans aucun doute les ennemis de l’Eglise l’auraient fait savoir, de façon à jeter le discrédit sur leurs récits.
Ils racontent des faits humiliants pour eux, qu’ils auraient sans aucun doute caché si leur démarche n’était pas absolument honnête
Le témoignage que donnent les écrivains du NT leur a valu plus d’ennuis que de gloire
De très nombreux détails géographiques et historiques qui figurent dans le NT ont été corroborés par les sciences historiques, archéologiques ou géographiques
Autrement dit, les évangélistes ont fait œuvre, sans que ce soit leur premier but, d’historien : leur récit n’a rien de commun avec les récits mythologiques où tout est flou au plan historique et géographique.
Le témoignage d’un W. Ramsay, par exemple, est à cet égard significatif. Cet homme, archéologue à Oxford au XX°s, avait pourtant épousé la carrière d’archéologue notamment pour étayer la thèse selon laquelle les Actes dateraient seulement du milieu du II°s ! Son étude le contraignit à un revirement et il dut conclure : « Luc est un historien de premier rang ; ses déclarations ne sont pas seulement dignes de confiance, il possède le vrai sens historique… en bref, cet auteur devrait être placé parmi les plus grands historiens ». Bel hommage, peu suspect de partialité !
On s’est parfois étonné des divergences entre les récits des 4 Evangiles portant sur les mêmes faits, pour en déduire que ceux-ci n’étaient pas véridiques.
Voici quelques éléments de réponse :
Tous ont rendu compte des mêmes faits, mais chacun de manière propre
Le fait que les Évangiles aient été inspirés par le Saint-Esprit n’empêche pas que chaque Évangéliste ait raconté les faits avec son style propre, selon l’époque et le milieu pour lesquels il écrivait: «Les auteurs sacrés composèrent donc les quatre Évangiles, choisissant certains des nombreux éléments transmis soit oralement, soit par écrit, rédigeant un résumé des autres (…) de manière à nous livrer toujours sur Jésus des choses vraies et sincères»(Concile Vatican II, Dei Verbum 19).
Un juge trouverait-il suspect, ou accuserait-il de falsification, deux témoins de la même scène qui rendraient compte de celle-ci de façon finalement concordante, mais avec des différences. Certainement non ! Il comprendrait fort bien que chacun n’ait pas pu porter sur la même réalité exactement le même regard. Pourquoi les critiques n’auraient-ils pas la même démarche envers les évangélistes ?
Valeur intrinsèque de ces divergences dans leur convergence
Comme le fait souvent remarquer le P. René Laurentin, grand exégète catholique soucieux de défendre la véracité des Ecritures et la bonne foi des évangélistes, les divergences entre les récits évangéliques attestent que leurs auteurs ne nous ont pas livré des versions arrangées. Si tel avait été le cas, en effet, ils auraient précisément veillé à gommer les détails divergents, et nous aurions des Evangiles proches en tous points les uns des autres.
Les divergences entre les synoptiques sont minimes
S’ils semblent se contredire sur des détails de lieu et de temps (par exemple quant à la teneur exacte des paroles de l’institution de l’eucharistie, quant à l’ordre chronologique exact des apparitions de Jésus ressuscité), ces divergences sont sans importance. Quant aux paroles de Jésus, elles ont pu être prononcées en des temps et lieux différents; en bon pédagogue, Jésus répétait son enseignement pour le graver dans la mémoire de ses auditeurs; leur fixation par des auteurs différents et leur traduction de l’araméen au grec expliquent les variantes, qui ne portent jamais sur le fond de la doctrine.
Ils furent élaborés soit par des communautés chrétiennes marginalisées, soit dans la mouvance d’une littérature populaire et romanesque.
Ces écrits n’ont pas été retenus par l’Eglise dans le Canon des Ecritures (la liste des écrits divinement inspirés), pour plusieurs motifs :
Ces livres sont très à la mode à notre époque, soit parce qu’on est en mal de merveilleux, soit pour jeter une pierre de plus dans le jardin de l’Eglise catholique, à laquelle on reproche d’avoir injustement écarté les communautés hérétiques dans lesquelles furent écrits ces ouvrages.
Ils ne présentent pas vraiment d’intérêt, sauf rares exceptions… qui n’ont d’ailleurs rien de fondamental pour la foi. C’est par exemple par les livres apocryphes qu’on apprend que Marie est née de St Joachim et de St Anne, ou encore qu’on connaît l’épisode du « Quo vadis », etc.
- RP Louis-Marie de BLIGNIERES : art. « Les Evangiles sont-ils historiques ? » (Revue « Sedes Sapientiae », n°123, pp. 3-18) ; art. « Les Evangiles sont-ils historiques ? (II) » (idem, n°124, pp. 3-17) [NB : on peut commander ces numéros à Société Saint-Thomas-d’Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi]
- abbé Bernard LUCIEN : Théologie sacrée pour débutants et initiés, t. III. Apologétique (éd. Nuntiavit, 2011), spécialement le Ch. « L’historicité des Evangiles et des Actes des apôtres », pp. 394-423 [NB : le propos est très minutieux et donc parfois un peu abscons !]
- Prof. Jean-Christian PETITFILS : Jésus (éd. Fayard, 2011), « Annexes » [NB : il existe une version en livre de poche de cet ouvrage]