Ce sont des hérésies plutôt hellénisantes qui insistent sur la divinité du Logos, au point de refuser l’humanité du Christ (car le Logos ne saurait se mêler à l’humanité)
Gnose : doctrine qui tenant la matière pour mauvaise refuse que Dieu (infini, parfait) ait pu assumer un corps humain
Réponse : dans l’Evangile, Jésus est montré pourvu d’un corps, se nourrissant, souffrant, mourant…
Vient du gr. « dokein » (apparaître, sembler) : le corps du Christ n’aurait été qu’une apparence ; Jésus aurait fait semblant d’être homme.
Le corps de Jésus serait venu du ciel au travers de Marie : elle ne l’aurait pas « engendré » réellement, mais aurait seulement été un canal par lequel le corps très spécial du Christ est descendu. Ainsi, le Christ a un « corps sidéral », d’une autre matière que le nôtre.
St Irénée de Lyon (+ 202) (Contre les hérésies, Livre III ):
« (Le Christ) a mélangé l’homme à Dieu, car si ce n’était pas un homme qui avait vaincu l’adversaire, l’ennemi n’aurait pas été vaincu en tte justice ; d’autre part, si ce n’était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous ne l’aurions pas reçu de manière stable (…) Il fallait que le ‘Médiateur de Dieu et des hommes’ (1 Tm 2,5), par sa parenté avec chacune des 2 parties, les ramenât l’une et l’autre à l’amitié »
« Il fallait que celui qui devait tuer le péché et racheter l’homme (se fasse homme) afin que le péché fût tué par un homme »
Irénée s’appuie sur le parallèle de Rm 5,12.19 entre le 1er Adam, vrai homme, par qui le péché est entré dans l’humanité, et le Christ 2nd Adam, par qui devait être éradiqué le péché dans l’humanité : pour cela, le 2nd Adam devait être vrai homme.
Selon Apollinaire de Laodicée (+ 390) Jésus est bien Dieu, mais qu’il n’aurait, quant à son humanité, qu’un corps et non une âme. S’il avait eu une âme humaine, la volonté de cette âme humaine serait entrée en conflit avec le Verbe de Dieu.
Réponse de St Grégoire de Nazianze (+ 390) : « argument sotériologique » = seul ce qui a été assumé par le Verbe a pu être sauvé ; il fallait donc que le Verbe assume une âme humaine, et pas seulement un corps humain.
Hérésies plutôt tributaires d’une forme hétérodoxe de judéo-christianisme, qui ne parvient pas à s’extraire des cadres de pensées vétérotestamentaires : soucieuses de sauvegarder la transcendance et l’unicité de Dieu, elles refusent d’admettre que le Christ soit Dieu, car cela introduirait en Dieu une pluralité de personnes et un abaissement insoutenables.
L’ébionisme tire son nom de l’hébreu « ebionim » (les pauvres) : JC serait un pur homme, né de Marie et de Joseph, élevé au rang de Messie par une illumination du St Esprit. L’adoptianisme, qui en est issu, tient que Jésus, simple homme, aurait été adopté par Dieu lors de son baptême au Jourdain (« celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances, écoutez-le »).
Réponse : St Irénée (Contre les hérésies, Livre III) combattit l’ébionisme ; le concile local d’Antioche de 268 condamna l’adoptianisme.
Arius (+ 336) est un prêtre égyptien qui prétend que Jésus fut « créé », au sens où il serait un homme, né de la Vierge Marie, dans lequel serait descendu le Logos divin, 1ère des créatures. Deux convictions-clés erronées fondent sa thèse :
C'est une erreur à propos du Logos avant l’incarnation :
C'est une erreur à propos du Logos incarné :
le succès d’Arius s’explique notamment par le silence du Symbole des Apôtres, seule Profession de foi universellement répandue à l’époque, au sujet des relations entre le Père et le Fils : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du Ciel et de la Terre, et en JC, son Fils unique notre Seigneur, qui a été conçu du St Esprit, est né de la Vierge Marie ». Il fallut attendre le 1er concile œcuménique de Nicée (325) pour qu’en réponse à Arius le Magistère explicite ces relations : « nous croyons en un seul Seigneur JC, Fils unique engendré du Père, ie de la substance du Père, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père (= pas seulement de nature semblable, ni de même nature, mais partageant la même substance indivise) ».
St Athanase, évêque d’Alexandrie (+ 373), qui avait jadis accompagné en qualité de diacre son évêque au concile de Nicée, dut lutter (non sans excès, vu son caractère !) contre les résurgences de l’arianisme et pour l’application inconditionnelles de Nicée. Son orthodoxie lui valut de recevoir le titre de Docteur de l’Eglise ; sa fougue et sa persévérance (il fut banni et réhabilité 5 fois sur le siège d’Alexandrie…) lui méritèrent celui de « marteau des hérésies » !
Une fois apportés les éclairages du concile de Nicée (325), qui affirment sans ambiguïté que Jésus-Christ est VRAI DIEU et VRAI HOMME, encore faut-il éclairer l’épineuse question du mode d’union des 2 natures.
Deux clans se dessinent au V°s :
Nestorius, patriarche de Constantinople (+ 428) élabore une thèse qui superpose les deux natures, en ne les unissant que par une « conjonction d’amour et d’agir » (comme si Jésus était la somme de deux Lego emboîtés, extrinsèques l’une à l’autre !). L’unité de la personne en Jésus est alors mise en péril.
Réponse : St Cyrille d’Alexandrie (+ 444) insiste par contrecoup sur l’unité de la personne de Jésus et utilise des expressions qui peuvent donner l’impression d’une absorption de la nature humaine de Jésus par sa nature divine (= risque de « monophysisme »).
Le concile d’Ephèse (431) donne raison à St Cyrille d’Alexandrie contre Nestorius, mais expurge ce que ses expressions pouvaient avoir de dangereux, en dégageant le dogme de « Marie théotokos » (Marie Mère de Dieu) : « Marie est Mère de Dieu non parce qu’elle aurait donné à Jésus sa nature divine, mais parce qu’elle lui a donné un corps humain, uni à une âme humaine, uni au Verbe éternel ». Pas question de monophysisme, puisque la nature humaine n’est pas absorbée par la nature divine ; pas question de coexistence superposée des 2 natures, mais bien union intime de la nature humaine à la Personne du Verbe éternel (contre l’extrinsécisme de Nestorius).
Eutychès, lecteur assidu de St Cyrille d’Alexandrie, ne tient pas compte des précisions d’Ephèse : il promeut la fusion des 2 natures au profit de la seule nature divine.
Réponse : St Léon le grand, pape (+ 461) le réfute, ainsi que le concile de Chalcédoine (451).
Le concile de Chalcédoine donne une définition lumineuse de la personne du Christ, assumant le fruit du travail de tous les Pères de l’Eglise, et répondant à toutes les hérésies des 5 premiers siècles :
« A la suite des saints Pères, nous enseignons donc tous unanimement à confesser un seul et même Fils, NSJC, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché.
Avant les siècles, engendré du Père selon la divinité (exclut l’arianisme et l’adoptianisme), et né en ces derniers jours, engendré pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité (exclut le docétisme). Un seul et même Christ Seigneur, Fils unique reconnu en deux natures, sans confusion et sans changement (exclut le monophysisme), sans division et sans séparation (exclut le nestorianisme). La différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, mais plutôt les propriétés de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardées et concourant à une seule personne ou hypostase. Il n’est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils unique, Dieu-Verbe, Seigneur JC »
On y trouve enfin la solution au problème de l’articulation des deux natures intègres, divine et humaine, dans le Christ : l’union se fait selon l’hypostase, ie selon la seule personne, du Verbe éternel. On parle d’ « union hypostatique ».
En d’autres termes, l’humanité de Jésus, qui ne préexiste pas à l’incarnation (même pas l’âme humaine de Jésus seulement, contrairement à ce que pensait Origène), est assumée par la personne du Verbe. Le Verbe est ainsi principe d’être et d’agir de l’humanité de Jésus depuis le début de son existence ; ceci n’impliquant pas (et c’est là le miracle !) aucune atteinte à l’intégrité de cette nature humaine.
La théologie de Chalcédoine n’est pas née de rien. Elle s’appuie particulièrement sur :
Apportons quelques précisions au sujet de l’union hypostatique (UH).
Le moment de l’UH coïncide avec celui de l’Incarnation.
Telles sont les données de l’Ecriture : « une fois les temps révolus, Dieu envoya son Fils né d’une femme » (Ga 4,4)
Telles sont celles, plus explicites encore, des Pères :
Et puisque l’Incarnation commence dès le « fiat » de Marie à la proposition de l’ange Gabriel (puisque plus rien ne fait obstacle au projet divin d’Incarnation, il n’y a aucune raison que celle-ci soit différée), c’est au jour de l’Annonciation qu’est daté le début de l’UH.
**Même au moment de la Passion, elle a subsisté. **
C’est bien ce qu’affirme, quoique sur un mode discret, St Paul lorsqu’il dit « s’ils l’avaient connue (la sagesse divine cachée en Jésus), ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire (= Dieu) » (1 Cor 2,8) : autrement dit, celui qui était sur la Croix était bien le Fils éternel de Dieu venu dans la chair (contre la thèse manichéenne qui, pour esquiver le problème épineux de la mort de Dieu, affirmaient que le Verbe s’était retiré de la nature humaine de Jésus avant la Passion).
Les Pères l’affirment en chœur : « le Verbe ne s’est jamais retiré de ce qu’il avait assumé ». Là était du reste une condition de notre salut : si le Verbe avait été séparé de l’humanité de Jésus qui souffrait et mourait en croix, ces actes de Jésus n’auraient eu ni la valeur, ni les répercussions éternelles nécessaires.
St Thomas (contre St Hilaire et St Ambroise, qui estimaient qu’à la mort du Christ, la divinité se sépara de son corps mis au tombeau) explique qu’il y a bien eu mort de l’humanité de Jésus (séparation de l’âme et du corps), mais que le corps de Jésus est resté uni au Verbe (ST III, 50,2) et que l’âme est restée unie au Verbe (ST III,50,3).
Objection : La phrase « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Mt 27,46) n’est-elle pas la preuve qu’à ce moment la divinité avait quitté l’humanité ?
Solution : Hugues de St Victor : « (l’humanité de Jésus) s’est soustraite à la « protection » (de la divinité), mais ne s’est pas séparée de l’union (hypostatique) » (NB : nous y reviendrons).
Lc 1,33 : « tu concevras et enfantera un fils (…) il règnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura pas de fin ». He 7,24 : « Il possède un sacerdoce (dans son humanité, puisqu’il faut être homme pour être prêtre) qui ne passe pas, parce qu’il demeure pour l’éternité ».
Le concile de Constantinople (381) condamne Marcel d’Ancyre (+ 374) qui prétendait qu’à la fin des temps, le Logos incarné déposerait sa nature humaine et retournerait en Dieu.
Elle est une grâce pure : l’admission d’une nature créée dans l’unité d’une personne divine est absolument surnaturelle, car elle est totalement au-delà des capacités de la nature humaine, fût-ce la nature humaine assumée par le Fils de Dieu lui-même !
St Paul appelle l’Incarnation (et donc l’UH qui la permet) « un mystère caché en Dieu de toute éternité » (Ep 3,9) : on ne peut absolument pas la démontrer, mais seulement la recevoir, comme le mystère central de la foi chrétienne, auquel tous les autres mystères sont subordonnés (CG 4,27).
La périchorèse (ou circumincession, ou compénétration) des natures
St Grégoire de Nazianze (+ 390) est le premier à utiliser le terme « périchorésis » qui dérive du verbe « perichoreo » (« se pénétrer l’un l’autre).
On a traduit « périchorésis » par « circumincessio » en latin, et par « compénétration » en français.
Cette compénétration a pour effet :
Du coup, dans le Christ, tout est adorable, et pas seulement le Verbe.
Contre les nestoriens qui pensaient n’avoir à adorer en Jésus que ce qui relevait strictement de sa divinité, et contre les monophysites qui croyaient devoir adorer Jésus au seul motif que sa divinité avait tout « aspiré » de son humanité, le Concile de Constantinople II (553) définit que c’est à la fois la Personne divine ET la nature humaine assumée par elle qui doivent faire l’objet d’une même adoration (cf. les nombreux passages du NT où l’humanité de Jésus est adorée, en tant qu’unie au Verbe).
On appelle « communication des idiomes » la communication réciproque des attributs divins et humains du Christ, de telle sorte que le Logos divin puisse se voir imputer des attributs humains et qu’on puisse imputer à l’Homme-Jésus des attributs divins.
Une telle attribution réciproque n’est possible que parce que nature humaine et nature divine sont intimement et indissociablement unies en Jésus en vertu de l’UH.
Contre Nestorius, le Concile d’Ephèse (431) déclare que les affirmations contenues dans l’Ecriture sur le Christ ne peuvent être réparties sur deux personnes (le Logos et l’Homme-Christ), mais doivent être appliquées au Logos incarné intégral. Comme la Personne divine du Christ subsiste en deux natures, on peut affirmer du Fils de Dieu des choses humaines (il est né, il a souffert, Dieu est mort, Dieu a versé son sang), et du Fils de l’homme des choses divines (il était avant les siècles, etc.).
Limite : cependant, il ne conviendrait pas de dire de la nature humaine de Jésus en tant que telle qu’elle possède des attributs divins (Jésus comme homme existe depuis toujours), ni de la Personne divine en tant que telle qu’elle est soumise au sort humain (Jésus comme Dieu est mort).